- SOCIALISME - Histoire des mouvements socialistes (1870-1914)
- SOCIALISME - Histoire des mouvements socialistes (1870-1914)De 1870 à 1914, le mouvement socialiste est, dans son ensemble, «ascendant». Au moment de la guerre franco-allemande et de la Commune, il n’existait guère, nulle part, comme force organisée. En 1914, au contraire, il était, du moins dans le monde occidental et en Europe centrale, partout présent et il jouait un rôle politique souvent important. Ces progrès sont en relation étroite avec le développement de l’industrie et, partant, avec l’accroissement de l’influence du monde du travail. Ils sont aussi plus ou moins étroitement liés à la démocratisation de plus en plus poussée des institutions, et notamment à l’acquisition du suffrage universel, de même qu’au développement de l’instruction primaire, voire de la laïcisation de l’État et de la vie publique.Le deuxième caractère du mouvement est sa dispersion et son manque d’unité doctrinale. Certes, après 1870, et surtout après 1880, le marxisme a sérieusement progressé, mais le révisionnisme de Bernstein, l’ample synthèse de Jaurès, le pragmatisme anglo-saxon ou scandinave sont pour lui des obstacles pratiquement infranchissables. Ces divergences de vue peuvent s’expliquer par les histoires nationales, mais aussi par les différents degrés d’intégration de la classe ouvrière à la société «bourgeoise», l’attitude des gouvernements, le niveau de culture et la variabilité des conditions économiques. Aussi la IIe Internationale, malgré son immense prestige, n’est-elle guère qu’une «autorité morale».Enfin, le socialisme, dont le développement en Asie devrait par la suite étonner, fut d’abord un fait européen. Il n’a jamais réussi à s’implanter sérieusement aux États-Unis et au Canada. Il a par contre fortement inspiré les luttes anticoloniales et a pu longtemps passer pour une référence obligée des pays du Tiers Monde.1. Marxisme et réformisme en Europe industrielleLes pays de l’Ouest européen, avec quelques réserves pour l’Allemagne, ont, dans leur ensemble, connu un destin commun. L’unité nationale y est assurée, les institutions libérales, voire démocratiques, y ont triomphé d’une façon que l’on peut juger définitive. Au point de vue social, la féodalité a disparu depuis au moins trois quarts de siècle; et les intérêts agraires reculent devant ceux de l’industrie et du commerce. Le mouvement syndical, généralement organisé parallèlement au socialisme, y joue un rôle de plus en plus efficace. Aussi le socialisme, tôt créé, est-il, en 1914, une des composantes de la vie politique de ces pays. D’une façon générale, sa puissance n’a fait que croître entre 1870 et 1914.Ces considérations donnent au socialisme de l’Europe occidentale une coloration particulière. Il existe une tentation permanente de «réformisme»; les oppositions continuelles entre «réformistes» et «révolutionnaires» furent à la source de conflits internes parfois graves. Le triomphe de la pensée marxiste n’y fut jamais complet.Étant assez rapidement devenus une composante de l’État démocratique, les partis socialistes se sont rapidement trouvés en présence du problème du soutien, voire de la participation, à des gouvernements bourgeois. Or, en Europe occidentale, à la fin du XIXe siècle et surtout au début du XXe, l’axe politique incline vers le centre gauche (libéraux anglais, radicaux-socialistes français, radicaux danois) et les partis au pouvoir mènent une politique d’action démocratique et sociale (et subsidiairement anticléricale, dans les pays «catholiques»). Faut-il soutenir? participer? C’est la question essentielle, qui, avec des fortunes diverses, est discutée dans tous les congrès, nationaux ou internationaux.Formation du Labour PartyLe travaillisme anglais est étroitement lié au syndicalisme. Jusqu’en 1900, les leaders syndicalistes se contentaient de négocier avec le Parti libéral l’entrée au Parlement d’un certain nombre de militants, qui prenaient l’étiquette «lib.-lab.» (libéral-labour) au moment des élections, puis qui siégeaient au groupe libéral de Westminster. Cette formule convenait à l’élite de la classe ouvrière anglaise, les ouvriers qualifiés (skilled ) étant satisfaits de la position légale qu’avaient acquise les syndicats et de l’élargissement du droit de suffrage. Mais à partir des crises industrielles de 1883 et de 1887 se crée un nouvel «unionisme», beaucoup plus vigoureux, celui des unskilled , conduit par John Burns et l’Écossais Keir Hardie.Parallèlement, divers groupes socialistes, mal distingués des courants «radicaux» héritiers du chartisme, naissaient ici et là. Le premier à se constituer véritablement en parti (1881) fut la Fédération sociale démocratique de H. M. Hyndman, de W. Morris et de l’une des filles de Marx. Son influence fut limitée par de nombreuses scissions, causées à la fois par le caractère autoritaire de Hyndman et par le refus de Tom Mann d’accepter le marxisme.C’est aussi dans les années 1880 que se crée la célèbre Société fabienne avec Sidney et Beatrice Webb, G. B. Shaw et H. G. Wells. Ces temporisateurs, très influencés par J. Bentham, S. Mill et le positivisme, considéraient le socialisme comme le développement inévitable et progressif des institutions existantes. Malgré leur petit nombre (ils n’étaient guère que trois mille en 1914), leur influence fut importante.Le parti chargé de défendre les intérêts de la classe ouvrière n’est donc né ni de la Fédération sociale démocratique, trop divisée, ni du fabianisme, mais du nouvel unionisme. L’idée de faire élire des députés ouvriers non plus selon la formule du lib.-lab., mais d’une manière indépendante est l’œuvre de Keir Hardie, mineur écossais, autodidacte et puritain, élu dès 1892 à West Ham comme «socialiste indépendant». En 1893 est créé le Parti indépendant du travail (Indépendant Labour Party, I.L.P.), dont la venue au monde en tant que «parti de classe» est approuvée par Engels. Le parti s’imposa rapidement en Écosse et en Angleterre du Nord; cependant après 1895, il stagna.En réalité, l’attitude des anciennes trade-unions toujours fidèles au principe du lib.-lab. limitait l’influence du nouveau parti. C’était le Congrès des trade-unions (T.U.C.) qu’il fallait conquérir. En 1899, les syndicats invitèrent les groupements politiques à une collaboration et, l’année suivante, fut créé le Comité pour la représentation ouvrière (Labour Representation Committee, L.R.C.), dirigé par R. Mac Donald, et qui comprenait des représentants des syndicats, de l’I.L.P., des fabiens et de la Fédération. Aux élections de 1906, il y eut vingt-neuf élus du L.R.C. et vingt-quatre lib.-lab. Ce sont ces députés qui, en février, constituèrent le Labour Party (Parti travailliste).L’histoire du Parti travailliste de 1906 à 1914 est assez confuse. Le nouveau parti était attaqué à la fois par les fidèles de l’alliance lib.-lab. (W. Osborne) et par les syndicalistes plus ou moins influencés par la C.G.T. française (Connoly, Tom Mann). En outre, il manquait de leaders. Aussi, à côté du Labour, apparurent de nouvelles formations: la Fédération de Hyndman devint le British Socialist Party, les fabiens continuèrent leur propagande, à Oxford et à Londres se constitua le Guild Socialism. En 1914, la situation du socialisme anglais apparaissait si difficile que le bureau de l’Internationale s’en inquiétait.Le socialisme scandinaveEn Suède, en Norvège et au Danemark, le socialisme s’est développé assez tard, conséquence d’une industrialisation retardée; la collaboration entre syndicalisme et socialisme a été très étroite et l’alliance avec les «radicaux» ou les «paysans» à peu près systématique. En Norvège toutefois, on note quelques tendances révolutionnaires.En Suède, le socialisme a été introduit autour de 1880 par le lassalien A. Palm. Le Parti social-démocrate a été créé en 1889. Jusqu’en 1909, il fut le fidèle allié des radicaux dans la lutte pour le suffrage universel, obtenu seulement à cette date. Il fit preuve de sa force en 1906 en favorisant l’indépendance de la Norvège. Dès 1911, il était le parti politique le plus important au Riksdag; c’est cette même année qu’il définit son programme «humaniste».Au Danemark, une première tentative avait été faite entre 1870 et 1876 par un fils d’émigré français, Louis Pio, mais sans résultats immédiats. Ce sont les sociaux-démocrates allemands qui, obligés par Bismarck de réunir leur congrès à l’étranger (Copenhague, 1883), amenèrent la création du Parti social-démocrate danois. L’originalité de ce parti tient à sa rapide progression dans les populations rurales grâce à un énorme développement de la coopération et du syndicalisme. En 1905, les socialistes s’allient aux radicaux, et, à partir de 1909, ils soutiennent le gouvernement Zahle.En Norvège, le mouvement fut d’abord syndical. Ce n’est qu’en 1887 que fut constitué le Parti norvégien des travailleurs, avec un programme très modéré. Lui aussi s’allia avec les radicaux pour obtenir le suffrage universel (1898) et des lois sociales. Peu de temps avant la Première Guerre mondiale, le parti se radicalisa sous l’influence de M. Q. Tranmael.Bien que la Finlande fût un État quasi autonome au sein de l’Empire russe, le mouvement socialiste finlandais était plus près de H. Branting que de Lénine. Le mouvement syndical et coopératif y était très actif. En 1899 fut créé à Abo un Parti travailliste qui resta plus ou moins clandestin jusqu’en 1905. Après la révolution, il reprit de la vigueur sous l’influence de K. R. Tanner: en 1906, il avait à la Diète quatre-vingts députés sur deux cents.Belgique, Pays-Bas, SuisseEn Belgique, la Ire Internationale, sous l’impulsion de César de Paepe, avait manifesté une assez grande activité, et, surtout en Flandre, un certain nombre de groupes avaient subsisté qui, au congrès de Gand (1877), animé par Edouard Anseele et Van Beveren, tinrent un congrès de tendance bakouniniste. En 1880, Anseele et son groupe formèrent le Vooruit de Gand, à la fois coopérative, maison d’édition, mutualité, etc. Le Parti ouvrier belge (P.O.B.) fut créé en avril 1885 par les Flamands et les Bruxellois et rejoint en 1890 par les Wallons. Presque aussitôt, le parti fit l’essai de sa puissance dans la grève de 1891 pour le suffrage universel; en 1894, il obtint vingt-six, puis vingt-huit sièges à la Chambre; il est resté une grande force parlementaire.L’originalité du Parti ouvrier belge réside dans sa structure extrêmement décentralisée. Il regroupe dans la même organisation syndicats, coopératives, mutuelles, associations politiques. Il s’intéresse activement à la vie municipale et est profondément réformiste. Cependant, la neutralité belge donne à ses leaders (après de Paepe, E. Denis, L. de Brouckère, E. Vandervelde et surtout C. Huysmans) un rôle de premier plan au sein de l’Internationale qu’ils «administrent» en fait depuis 1910.Le socialisme hollandais a toujours été plus dispersé et plus faible que le socialisme belge, probablement à cause de l’importance prise par les partis religieux. Ce n’est qu’en 1881 qu’est créée la Ligue social-démocrate, qui devint plus tard la Ligue socialiste. Le leader en est Domela Nieuwenhuis; en 1893, la majorité de la Ligue verse dans l’anarchosyndicalisme. La minorité fonde, en 1894, un Parti social-démocrate modelé sur le type allemand; animé par Pierre Troelstra, il connaît assez rapidement ses premiers succès électoraux (trois députés en 1897, sept en 1901). En 1909 s’en détacha, sur la gauche, le Parti social-démocrate indépendant. Cette scission n’empêcha pas de lents progrès du parti qui, en 1913, obtint dix-neuf députés et put appuyer un gouvernement libéral.La dispersion du socialisme hollandais et ses tendances se retrouvent partiellement dans le socialisme suisse. La Ire Internationale y avait été très vivante, surtout en pays roman, et, un peu partout, fleurissaient des groupes de tendances diverses, bakouninistes et marxistes, tandis qu’en Suisse alémanique apparaissait la Ligue des travailleurs suisses (1873). D’autre part, dès 1838, existait la Grütli Union, plus radicale que socialiste, mais qui, en 1878, se rallia à des conceptions socialistes modérées. En 1901, tous ces groupements fusionnèrent en un Parti social-démocrate. Pendant quelque temps, la gauche joua un rôle important, mais à partir de 1906 l’échec de ses tendances antimilitaristes amena la victoire des modérés.Dispersion et réunion du socialisme françaisLe socialisme français est divisé en factions rivales jusqu’en 1905; à cette date, l’essentiel de ses forces s’unifie au sein du Parti socialiste, section française de l’Internationale ouvrière (S.F.I.O.). Dans l’ensemble, sa puissance ne cesse de croître au cours de cette époque. Enfin, il possède en Jules Guesde et surtout en Jean Jaurès deux hommes de tout premier plan.La répression qui suivit la Commune rendit impossible la création d’un mouvement socialiste autonome, et celui-ci est sorti, non sans difficultés, des «congrès ouvriers» organisés, à partir de 1876, par un collaborateur de Gambetta, Jacques Barberet. En 1879, au congrès de Marseille, inspiré par Jules Guesde, lui-même converti au marxisme, se crée la Fédération du parti des travailleurs de France. Mais, au congrès de Saint-Étienne, en 1881, celui-ci se subdivise en Parti ouvrier français (P.O.F.) animé par Guesde et Paul Lafargue et en Fédération des travailleurs socialistes (dits «possibilistes») dont Paul Brousse et Jules Joffrin sont les animateurs.En 1890 se dégage de la fédération des travailleurs socialistes le Parti socialiste ouvrier révolutionnaire (P.S.O.R.), très bien implanté dans les milieux syndicalistes parisiens, d’où se détache à son tour, en 1896, l’éphémère Alliance communiste d’Arthur Groussier. De leur côté, après l’amnistie des communards, les amis d’Auguste Blanqui et Blanqui lui-même formèrent le Comité révolutionnaire central (C.R.C.), animé par Édouard Vaillant, qui devint en 1896 le Parti socialiste révolutionnaire (P.S.R.).À côté de ces groupes au rayonnement divers selon les régions mais parfois important, un certain nombre de socialistes tiennent à conserver leur indépendance (P. O. Lissagaray, Jules Vallès, Benoît Malon). Ce socialisme indépendant est multiforme et prend peu à peu une allure de plus en plus parlementaire.Pendant qu’entraient au Parlement les premiers députés appartenant aux partis socialistes organisés (Clovis Hugues est le premier en 1881), le «socialisme indépendant» progressait. En 1893, une cinquantaine de députés, animés par Guesde, élu à Roubaix, et Jaurès, le nouvel élu de Carmaux venu au socialisme par évolution de sa pensée républicaine, formèrent un «groupe socialiste» relativement homogène jusqu’à l’affaire Dreyfus.Déclenchée à la veille des élections de 1898, l’Affaire provoqua une scission parmi les socialistes. Jaurès, un des chefs du parti « révisionniste », fut médiocrement suivi par son parti. Cependant, les nécessités de la défense républicaine devant l’agitation nationaliste étaient si évidentes qu’en novembre 1898 se créa un Comité d’entente, dont un des buts était la recherche de l’unité socialiste en France.C’est dans cette conjoncture difficile que se plaça l’«affaire Millerand»: pour la première fois, le problème de la participation d’un socialiste à un gouvernement bourgeois fut posé. Si Jaurès approuva la présence d’Alexandre Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau, cette participation fut condamnée par Guesde, Vaillant, Jean Allemane et leurs amis. Les congrès généraux socialistes tenus annuellement à partir de 1899 aboutirent en 1901 à la formation de deux partis: le Parti socialiste de France (P.S.D.F.), avec le P.O.F. et les blanquistes, qui s’affirmait marxiste et révolutionnaire, et le Parti socialiste français (P.S.F.) de Jaurès, Brousse et Allemane, qui s’affirmait «évolutionniste». Cependant, dans l’ensemble, les socialistes soutinrent fermement Waldeck-Rousseau.Aux élections de 1902, le P.S.F. fit partie du Bloc des gauches et remporta un net succès électoral. Jaurès refusa la participation au ministère Combes qui lui avait été offerte, mais, de 1902 à 1905, son parti fut un des éléments de la majorité animée par la Délégation des gauches. Le P.S.D.F., qui avait reculé (quatorze élus seulement contre trente-sept), tout en gardant son autonomie, fut aussi un fidèle soutien.C’est le congrès international d’Amsterdam (août 1904) qui, à la suite de ses positions doctrinales hostiles aux révisionnistes, imposa l’unité aux socialistes français. En avril 1905 était créé au «congrès du Globe» le nouveau parti, la S.F.I.O., qui s’affirmait nettement marxiste. Quelques personnalités (R. Viviani, A. Briand) restèrent à l’écart, le plus souvent par fidélité au Bloc.L’unité semblait être un succès des guesdistes et de leur conception révolutionnaire sur les conceptions évolutionnistes de Jaurès. En fait, c’est ce dernier, dont le prestige d’orateur et de penseur était très grand dans le pays, qui rapidement, devint le véritable leader de la S.F.I.O., le plus souvent en accord avec Vaillant. Sous son impulsion, le Parti socialiste ne cesse de grandir de 1904 à 1914, dans les villes ouvrières et dans les régions rurales de tradition radicale. Le groupe parlementaire passe de cinquante-deux élus en 1906 à cent trois en 1914, son nombre d’adhérents de trente-cinq mille à soixante-douze mille. À quelques exceptions près, et notamment le gouvernement Monis de 1911, les socialistes restent dans l’opposition. Mais, de plus en plus, le problème de la guerre tient une place prépondérante dans les congrès. La majorité du parti, avec Jaurès et Vaillant, affirme que la grève générale et internationale est le seul moyen efficace de s’y opposer, ce qui le met en contradiction avec les sociaux-démocrates allemands (congrès de Stuttgart, 1912).La social-démocratie allemandeLa social-démocratie allemande fut le premier parti socialiste constitué après la débâcle de la Ire Internationale. Ce fut aussi le plus puissant, le parti modèle que bien d’autres cherchèrent à imiter. Mais le système politique allemand, constitutionnel, mais non parlementaire, limita son influence et son action.Le 28 septembre 1863 fut créée par Ferdinand Lassalle l’Association générale allemande des travailleurs, parti politique indépendant, luttant pour le suffrage universel, mais aussi nationaliste et favorable à l’intervention de l’État. La même année, sur des bases tout à fait différentes, était créée par Wilhelm Liebknecht et August Bebel l’Union des associations de travailleurs allemands, qui se transforma en 1869 en Parti social-démocrate des travailleurs allemands, au congrès d’Eisenach. La fusion entre les deux organisations s’effectue en 1875 au congrès de Gotha, sur un programme finalement très lassalien et que Marx critiqua fortement. Mais, aux élections de 1877, le parti obtint douze députés dont sept pour la Saxe.Après 1877, le parti se heurta à la politique bismarckienne et aux lois d’exception votées en 1878 et reconduites jusqu’en 1889. La répression, assez violente, ne put venir à bout de la vitalité du parti qui, dès 1880, mit sur pied une organisation clandestine et tint ses congrès à l’étranger. Les progrès électoraux du parti n’en furent pas ralentis, et, en 1890, la social-démocratie rassemblait 1 427 000 électeurs sur les noms de ses candidats.À la suite de la chute de Bismarck, Guillaume II abolit les lois d’exception (1890). De cette épreuve le socialisme allemand sortit durci et radicalisé. Le marxisme y pénétra plus profondément. Au congrès d’Erfurt (1891), un nouveau programme fut rédigé par Karl Kautsky, un des meilleurs connaisseurs de la pensée de Marx, programme orthodoxe doctrinalement, mais laissant place à l’action réformiste.Dès cette même année 1891, le parti est divisé par la «crise révisionniste» qui le marqua si profondément au moins jusqu’en 1914. G. von Vollmar, député au Landtag de Munich, s’était prononcé pour l’abandon de l’opposition systématique au régime et pour une politique qui assurerait aux socialistes l’appui des petits paysans de l’Allemagne du Sud. Mais c’est Eduard Bernstein, que de longs séjours en Angleterre avaient mis en étroite relation avec les fabiens, qui s’en fit le théoricien en critiquant les positions de Marx sur de nombreux points: importance des facteurs moraux dans la formation de la conscience des peuples, rejet du concept de plus-value, refus de croire à une évolution catastrophique de l’économie et du devenir social, affirmation de l’atténuation de la lutte des classes, confiance en la démocratie et rejet de la doctrine de la dictature du prolétariat.Ces théories eurent un certain succès à l’intérieur comme à l’extérieur du parti. En 1899, au congrès de Hanovre, elles furent durement critiquées par Kautsky et condamnées, condamnations renouvelées à Lübeck (1901) et à Brême (1903) où l’éclatement fut évité de justesse. Cependant, la majorité se refusa toujours à exclure Bernstein et ses amis. On a pu dire que la social-démocratie était devenue kautskyste, c’est-à-dire qu’elle avait conservé des apparences révolutionnaires tout en pratiquant l’opportunisme.En fait, le révisionnisme pénètre dans la social-démocratie à la fois à cause de la lourdeur de son administration (une machine de quelque quatre mille fonctionnaires), du rôle important joué par les conseillers municipaux et les députés des Landtage, des liaisons étroites qui s’établissent entre le parti, les syndicats, les coopératives. Syndicats et parti sont parfaitement d’accord pour rejeter, au congrès de Mannheim (1906), la théorie de la grève générale révolutionnaire.En matière internationale, la social-démocratie n’a guère de doctrine. De l’héritage de Marx elle a conservé la «russophobie». Pour le reste, le parti est divisé. Bernstein ne décourage pas l’expansion coloniale. À partir de 1907, c’est la droite qui l’a sans cesse emporté dans les congrès, malgré les sérieuses mises en garde de la gauche (Rosa Luxemburg et surtout R. Hilferding, puis Georg Ledebour et Hugo Haase). À Chemnitz (1912) et à Iéna (1913), toute idée de grève révolutionnaire pour maintenir la paix est écartée. C’est le moment où les socialistes français (dont Victor Adler) s’inquiètent du «chauvinisme» de leurs camarades d’outre-Rhin.La social-démocratie, malgré ses tensions internes, n’en est pas moins une très grande force et, d’assez loin, le premier groupement socialiste européen. En 1912, elle obtient cent dix députés et 35 p. 100 des voix, ce qui fait d’elle le plus puissant des partis politiques allemands.2. L’Europe à prépondérance paysanneIl y a en Europe des pays dans lesquels la première place est donnée aux intérêts agraires: boyards russes, magnats polonais et hongrois, latifundistes italiens ou espagnols. Encore faut-il faire une distinction: au sein de certains pays en évolution relativement rapide se juxtaposent des régions normalement développées économiquement ou en progrès (Piémont et Lombardie en Italie, Catalogne en Espagne, Autriche allemande et partiellement tchèque dans l’Empire des Habsbourg) et des régions restées agraires et stagnantes (Mezzogiorno italien, Castille et Andalousie en Espagne, Hongrie dans l’Empire); d’autres pays (Russie, Pologne, Balkans) ne connaissent guère cette évolution et surtout cette juxtaposition.En dehors de l’Italie du Nord, la révolution de 1789 n’a pas eu lieu. La noblesse agrarienne continue à diriger plus ou moins les affaires. Il y a peu de classes moyennes et de bourgeoisie. Le conflit entre paysans et seigneurs se juxtapose au conflit entre bourgeois et ouvriers. Enfin, si le sentiment national existe ou ressusciste, les nations sont encore en formation, et c’est dans cette partie de l’Europe que le socialisme, international par essence, se heurte aux problèmes nationaux que ses théoriciens, de l’Autrichien K. Renner au Géorgien Staline, en passant par la Polonaise Rosa Luxemburg, essaient de résoudre de façon d’ailleurs parfaitement contradictoire; une fois encore, l’Internationale hésite.ItalieLe socialisme italien tire son originalité de ses souvenirs garibaldiens (le héros du Risorgimento se proclamait socialiste), de l’existence d’un système électoral resté censitaire, des difficultés de l’unification, du contraste entre Nord industriel et Sud agricole et arriéré.Les premiers mouvements ouvriers (ceux de 1872) sont encore marqués par l’idéalisme de 1848, puis l’anarchisme s’introduit. Après 1880, avec Arturo Labriola et surtout Filippo Turati, les idées marxistes progressent. En 1892 se constitue, en grande partie sous l’influence de la social-démocratie allemande, le Parti des travailleurs italiens qui deviendra, en 1895, le Parti socialiste italien. Dans le Sud, le mouvement animé par les Faisceaux des travailleurs est plus spontané et essaie de toucher les masses rurales. Entre 1893 et 1895 éclate dans les campagnes une violente agitation durement réprimée, mais quelques socialistes entrent tout de même au Parlement de Rome aux élections de 1895.La vie du Parti socialiste italien est à nouveau troublée par les émeutes de 1895-1898, ce qui n’empêche pas de nouveaux progrès électoraux en 1900. Avec l’arrivée de G. Giolitti aux Affaires (1901), la situation se détend, et la plupart des leaders du parti renoncent à une opposition de principe. À plusieurs reprises, Giolitti propose la participation, qui est toujours refusée. En fait, comme tous les partis socialistes de la même époque, le parti italien est divisé entre modérés réformistes (Leonidas Bissolati, Ivanoe Bonomi) et révolutionnaires (parmi lesquels commençait à apparaître la figure de l’instituteur romagnol Benito Mussolini).C’est à propos de l’expédition de Libye, désapprouvée par la majorité, mais soutenue par certains modérés, que le conflit se dénoua. Au congrès de Reggio d’Emilia (1912), la gauche l’emporta.Péninsule IbériqueEn Espagne, le Parti socialiste ouvrier espagnol (P.S.O.E.), d’obédience strictement marxiste, n’a eu, jusqu’en 1914, qu’un rôle finalement assez limité. La Ire Internationale avait été active surtout à Barcelone. Fin 1871, le gendre de Marx, Paul Lafargue, y introduisit le marxisme et détacha de l’organisation, devenue anarcho-syndicaliste, la Nouvelle Section de Madrid qui devint en 1879 le Parti socialiste ouvrier espagnol, à base essentiellement castillane et dont le leader fut Pablo Iglesias. En 1888, une minorité de syndicalistes de tendance sociale-démocrate fonda l’U.G.T. (Union générale des travailleurs), très liée au parti et qui, comme lui, se développa dans le centre de l’Espagne, dans les Asturies et à Bilbao. Ce n’est qu’en 1890 que les socialistes décidèrent de prendre part aux élections, après l’acquisition du suffrage universel. Ils remportèrent leurs premiers succès municipaux à Bilbao en 1891 et n’eurent leur premier élu à la chambre législative qu’en 1910 grâce à une coalition de gauche allant des républicains aux anarchistes et qui permit, à Madrid, l’élection de Pablo Iglesias.Parti authentiquement ouvrier, marxiste, mais modéré, aussi méfiant à l’égard des mouvements révolutionnaires que du fédéralisme, le P.S.O.E. a eu une croissance difficile. Constitutionnaliste et démocratique, il s’est développé dans une atmosphère de coups d’État et de guerre civile, d’émeutes et de jacqueries qui témoignent du caractère archaïque de la politique espagnole avant 1914.Le Parti socialiste portugais n’a jamais eu beaucoup d’importance. Il est né après la révolution de 1911 et n’eut qu’un député au Parlement (1912). Il n’a jamais été représenté à l’Internationale.Empire austro-hongroisL’histoire du socialisme dans l’Empire austro-hongrois est dominée par les difficultés nationales; de plus, la coexistence de régions fortement développées sur le plan économique (Autriche, Bohême) et de régions restées encore à prépondérance agricole et à structure sociale quasi féodale influe beaucoup sur elle.Le Parti social-démocrate autrichien fut créé au congrès de Neudorff (1874) et groupait à la fois des lassaliens comme Heinrich Ober Winder et des marxistes comme Andreas Sheu. Vers 1890, les seconds l’emportèrent définitivement, grâce surtout à l’action de Victor Adler, médecin et disciple de Bebel. Au congrès de Heinfeld (1889), les diverses fractions tombèrent d’accord pour adopter un programme à la fois marxiste et légaliste.Le parti se heurta très vite aux antagonismes nationaux, et leur tentative de solution montre la grande maturité politique des marxistes autrichiens. Successivement, le congrès de Brünn (Brno) en 1899, puis les œuvres théoriques de Karl Renner et d’Otto Bauer s’efforcèrent de résoudre ces problèmes dans le cadre de la vieille monarchie qu’aucun ne voulait supprimer (théorie de l’autonomie personnelle de Karl Renner, 1904).En Bohême, les problèmes furent plus délicats à cause de l’âpreté du conflit national. On aboutit à une scission avec la création d’une branche séparatiste tchèque (1910) que le congrès de l’Internationale refusa de reconnaître. L’esprit conciliateur d’Adler, du Sudète Joseph Selinger, du Tchèque Bohamil Smeral empêcha que la rupture ne fût définitive. Le problème commençait à se poser, mais avec moins d’acuité, en pays slovène.En Hongrie, ce n’est qu’en 1890 qu’a été constitué le Parti social-démocrate hongrois (M.S.Z.D.P.); il n’eut jamais autant d’influence que son homologue de l’Ouest. Il est nationaliste et unitaire: aussi les socialistes des nations sujettes (Roumains, Serbes, Slovaques) tendent-ils à s’en séparer.BalkansDans les Balkans, le socialisme est apparu dès 1870, en relation avec le populisme russe. Le Parti social-démocrate bulgare se constitue en 1891, le parti serbe en 1903.Animé par G. Rakovski (bien qu’il fût bulgare d’origine), le parti roumain a connu une certaine vitalité entre 1890 et 1900; il devint clandestin pendant quelques années et reprit une certaine vigueur après 1904, grâce surtout à la création du syndicalisme et malgré les persécutions qui suivirent l’échec du mouvement paysan de 1907.La Ligue des travailleurs de Grèce, créée en 1901 par P. Drakoulès, devint Parti socialiste grec en 1911. Bien vu par E. Venizelos alors au pouvoir, ce parti grandit lentement, notamment parmi les travailleurs portuaires du Pirée.L’histoire des partis socialistes polonais est d’une grande complexité essentiellement due aux difficultés du problème national dans un pays divisé en trois et dont l’esprit patriotique était soutenu par une forte émigration d’intellectuels. Le Parti socialiste polonais fut fondé en 1892 à la fois en Pologne et par des émigrés polonais à Paris. Rapidement, la question nationale y occupa la première place, et, en 1900, s’effectua une première scission. Rosa Luxemburg et ses amis créèrent le Parti social-démocrate des royaumes de Pologne et de Lituanie. Après l’insurrection de 1905, le premier se scinda, un groupe rallia les «luxembourgistes» et le Parti social-démocrate ainsi réorganisé décida de s’affilier à la social-démocratie russe, tandis que le Parti socialiste polonais, maintenant dirigé par Józef Pilsudski, continuait sa campagne nationale et considérait ses rivaux comme des apostats.En Pologne autrichienne, les socialistes galiciens formaient une des «sections» de la social-démocratie de ce pays, puis, en 1911, un parti autonome, étroitement lié à celui de Pilsudski par une même hostilité à la pénétration russe en Europe centrale et dans les Balkans. En 1899 fut organisé un Parti social-démocrate ukrainien.RussieLe socialisme russe est, par excellence, celui d’un pays agraire, économiquement en retard, et dans lequel la place du socialisme démocratique fut toujours médiocre; enfin, les émigrés y tenaient un rôle important.Cela explique son peu d’intégration à la société et, par conséquent, son caractère révolutionnaire.Jusqu’aux années 1900, le socialisme russe s’exprime surtout par le populisme, qui s’efforce de concilier le socialisme utopique et les traditions historiques de la Russie, chères aux slavophiles. À cette époque, la conception populiste est critiquée par les premiers marxistes (Paul Axelrod, Vera Zassoulitch et surtout Georges Plekhanov). Ce dernier, dès 1884, marque son hostilité à ces thèses qu’il tient pour réactionnaires et envisage l’industrialisation de la Russie comme seule capable d’enclencher un processus révolutionnaire à longue échéance. Vers 1900, le populisme recule et un socialisme plus authentique pénètre en Russie. Mais les militants sont divisés, et deux, puis trois partis adhèrent à la IIe Internationale qui, malgré ses efforts, ne réussit jamais à les unifier.Le Parti social-révolutionnaire est à la fois l’héritier du populisme, de courants anarchistes (M. Bakounine) et des socialistes «agraires» de 1880. Il est méfiant à l’égard du marxisme, sinon hostile, fédéraliste au sein de l’Empire, terroriste, anticapitaliste, et pense que la révolution sera essentiellement l’œuvre de paysans. Le parti, constitué en 1901, dura jusqu’à la seconde révolution.Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (P.O.S.D.R.) fut créé en 1898 (congrès de Minsk). C’est à l’étranger qu’il manifeste, jusqu’en 1905, sa plus grande activité. Il est peu unifié. Il y a des «marxistes légaux», et, surtout après les congrès de 1903 (Bruxelles, puis Londres), la rupture devint inévitable entre les majoritaires (bolcheviks) et les minoritaires (mencheviks). Les seconds pensaient que la Russie devait d’abord passer par une phase de révolution bourgeoise à la victoire de laquelle les militants ouvriers collaboreraient. Aussi étaient-ils partisans de l’organisation d’un parti largement ouvert. À l’inverse, les bolcheviks, dont Lénine devint rapidement le chef, affirmaient la possibilité d’une révolution ouvrière, se refusaient à faire du parti socialiste une «force d’appoint» d’une révolution bourgeoise et exigeaient que le parti fût constitué par un groupe restreint de militants et soumis à une stricte discipline. Les luttes entre les deux tendances furent très violentes, tant au sein de l’Internationale qu’en Russie. Une brève fusion fut tentée et réalisée après le congrès de Stockholm (1906), mais, malgré les efforts des leaders de l’Internationale et des conciliateurs dirigés par Trotski, elle ne fut pas durable. En 1912, au congrès de Prague, les bolcheviks se donnèrent une organisation autonome.3. Le socialisme dans les autres paysTrois types de pays qui n’ont pas grand-chose de commun, sinon leur situation géographique, ont possédé des partis ou des mouvements socialistes. Ce sont les dominions britanniques et les pays d’Amérique du Nord, l’Amérique latine, les pays de civilisation africaine et asiatique.Dominions britanniques et Amérique du NordAux États-Unis et au Canada, le socialisme a subi un échec à peu près complet dont les causes sont multiples: divisions en factions, médiocre impact sur les organisations syndicales, inadaptation des thèmes essentiels de la social-démocratie allemande à la réalité américaine, libéralisme des structures politiques. Il y a cependant eu, aux États-Unis, entre 1904 et 1912, un certain impact de la social-démocratie qui pouvait laisser espérer une extension analogue à celle de l’Europe.Avant 1870, les États-Unis avaient connu quelques influences owenistes et fouriéristes, puis, après l’échec de la Commune, la Ire Internationale s’était transférée à New York pour se dissoudre presque immédiatement. En 1877, Henry George constitua le Socialist Labour Party qui eut d’abord un certain succès, surtout parmi les émigrés allemands et scandinaves du Middle West; puis son influence diminua à partir de 1892. Le relais fut pris par deux mouvements parallèles: en 1905, un émigré français, marxiste fervent, Daniel de Léon, créa l’Industriel Workers of the World (I.W.W.), qui, sur un programme trade-unioniste, eut quelques adeptes chez les mineurs; mais il se heurta à la puissante American Federation of Labour qu’il ne réussit pas à conquérir. Ce sont des éléments issus de l’I.W.W., dont l’Allemand Victor Berger, qui constituèrent en 1901 l’American Socialist Party dont l’influence devint rapidement marquante sur de nombreux écrivains comme Jack London et Upton Sinclair et dont la figure de proue devint Eugene V. Debst. Son importance s’accrut assez vite, et, en 1912, il comptait cent cinquante mille membres, tandis que Debst obtenait plus de neuf cent mille voix aux élections présidentielles; il ne les dépassa jamais.Au Canada, l’influence américaine était trop forte pour que le socialisme pût s’y instaurer durablement. Il n’y eut de parti constitué qu’en 1890, et il n’eut jamais de rayonnement, sinon régional.En Afrique du Sud, à partir de 1890, se sont établies des filiales des diverses organisations socialistes anglaises, et notamment du mouvement fabien, ainsi que des groupes socialistes d’émigrés étrangers, russes, italiens et allemands. Le South African Labour Party fut fondé en 1907 et remporta un certain succès au Cap et surtout à Johannesburg. En 1910, il y avait quatre députés travaillistes au Parlement fédéral. En 1913, le parti obtenait la majorité au parlement provincial du Transvaal. La guerre et les conflits raciaux vont marquer son déclin.Dans les deux dominions blancs d’Australie et de Nouvelle-Zélande s’est assez rapidement installé un travaillisme à la fois marqué par ses origines britanniques et par des caractères originaux. En Australie, le syndicalisme est né très tôt, dès 1831, et s’est amplement développé après 1870. Les longues grèves de 1888-1895 ont amené la création de la Labour Electoral League qui, sous l’influence de W. G. Spence et de W. Lane, se transforma en plusieurs partis travaillistes dans les différents États, puis, lorsque l’unité australienne eut été réalisée en 1901, en un seul Australian Labour Party. Parallèlement, des émigrés, anciens chartistes, Allemands, Scandinaves et Italiens, formaient des groupes socialistes qui s’unirent dans la Socialist League en relation avec l’Internationale, puis l’Australian Socialist Party dont les diverses sections avaient, avant 1914, fusionné avec les travaillistes. Les travaillistes australiens se trouvèrent très vite au contact des réalités gouvernementales: en 1904, Watson gouverna la Fédération quelques mois; en 1908, Fisher, député depuis 1901, devint Premier ministre et le resta pratiquement jusqu’en 1915. Dès 1905, une conférence avait fixé le programme du parti axé à la fois sur une «Australie blanche» et sur l’acquisition d’un niveau de vie élevé pour tous.La situation est somme toute assez analogue en Nouvelle-Zélande où le mouvement syndicaliste était très actif depuis 1880. Les chefs libéraux au pouvoir, Ballance et Seddon, cherchaient son alliance selon une formule lib.-lab. Leur œuvre sociale fut d’ailleurs impressionnante. Lorsqu’en 1898 apparut un mouvement en vue de la création d’un parti socialiste autonome, Seddon essaya de le contrecarrer en animant une Liberal and Labour Federation. Ce n’est qu’en 1904, sous l’influence des succès travaillistes en Australie, que fut créée en Nouvelle-Zélande la Political Labour League, issue elle-même d’un petit Parti socialiste fondé à Wellington en 1900. Mais ce n’est qu’en 1911 qu’apparaît le Social Democratic Party, résultat de la fusion de diverses organisations politiques et syndicales, puis, en 1916, le New Zealand Labour Party qui les regroupait toutes. La modération des trade-unions l’avait emporté, non sans difficultés, sur le socialisme plus doctrinaire des groupes socialistes. Toutefois, le parti n’accéda au pouvoir qu’après la guerre.Amérique latineEn Amérique latine, le mouvement socialiste est lié aux débuts de l’industrialisation. Il a donc un caractère essentiellement urbain. Son développement est dû à l’arrivée, à la fin du XIXe siècle, de travailleurs italiens et allemands, voire français, dans les grandes villes d’Amérique du Sud.Deux pays, l’Argentine et l’Uruguay, les deux pays de peuplement blanc, ont eu des partis socialistes à peu près régulièrement présents à tous les congrès de l’Internationale. Mais il existe des esquisses de partis, ou même des partis constitués, au Brésil, au Mexique, à Cuba, en Bolivie. Après 1870 avaient existé à Montevideo, Buenos Aires et La Havane des sections de la Ire Internationale.En Argentine, le 14 décembre 1892, est créé le Partido obrero qui devint le Partido socialista obrero (1894) et, en 1895, le Partido socialista obrero argentino. Il est régulièrement représenté aux congrès internationaux. Sa politique modérée est axée sur une alliance avec les radicaux.En Uruguay, le mouvement est plus tardif. Après divers essais naît, en 1904, le club Karl-Marx de Montevideo; en 1910, grâce à l’alliance radicale, un député socialiste entre au Parlement. Mais ce n’est que le 10 août 1912 que s’organise réellement le nouveau parti.Cette même année 1912 sont fondés le Parti socialiste brésilien (1er mai) et le Parti socialiste chilien (4 juin). Ailleurs, et notamment en Bolivie, à Cuba, au Venezuela, il n’y a que des groupes dont on suit mal l’activité, par exemple l’Union ouvrière du 1er-Mai de La Paz qui envoya, en 1907, un rapport à l’Internationale.Asie et AfriqueLes grands pays du Tiers Monde asiatique n’ont guère connu, avant la Première Guerre mondiale, de véritable mouvement socialiste. Le Japon est la seule exception.Le socialisme japonais est d’importation américaine et il est né dans le milieu des intellectuels formés par les missionnaires protestants (Katayama) ou par les travailleurs émigrés à San Francisco et rentrés ensuite dans leur pays (Fusataro et ses Amis du travail fondés en 1890). C’est en 1901 que Katayama et ses amis forment le Parti social-démocrate (Shakai Minshuto) dont la vie passe par des activités de tolérance et d’interdiction. Le parti fit une propagande active à la veille de la guerre russo-japonaise et même pendant cette guerre, attitude qui valut une réputation internationale à son leader Katayama (la «poignée de main», de Katayama à Plekhanov au congrès d’Amsterdam est restée célèbre) et a probablement été rentable à longue échéance, après l’effondrement de 1945. Après la guerre, le parti se désunit: si Katayama était favorable à l’action parlementaire et à la conquête du suffrage universel, Kotoku évoluait vers l’anarchisme. A partir de 1908, la répression se fit de plus en plus violente et aboutit à l’élimination des deux courants de la vie politique japonaise.Le socialisme occidental fut introduit en Chine par l’intermédiaire du Japon (1903); il eut un certain essor dans l’entourage de Sun Yat-sen et dans des groupes d’étudiants. Ce n’est qu’en 1911 que fut créé le Parti socialiste chinois (Zhongguo shi hui dan). Il se développa très vite, et, au cours de l’année 1912, il groupait peut-être trois cent mille membres divisés en cinquante-huit «branches». Mais il fut interdit (août 1913), et la IIe Internationale refusa de le reconnaître comme parti socialiste à cause de son insuffisance idéologique.L’Inde n’a pas connu avant 1914 de véritable parti socialiste organisé. Cependant, dès 1890 existait à Bombay un Cercle fabien anglo-indien, et, après 1905, le mouvement de revendications ouvrières fut assez vigoureux. D’assez nombreux Indiens émigrés prirent contact avec les formations socialistes européennes; en fait, jusqu’en 1914, ce fut l’«aile gauche» du Parti du Congrès qui se fit l’interprète des aspirations du monde ouvrier indien.En Indonésie (Indes néerlandaises), le 20 mai 1908, des étudiants formèrent le Budi Utomo (Noble Effort). En même temps, depuis le début du siècle, la pénétration socialiste était assez efficace parmi les colons hollandais. Ce sont eux qui créèrent en mai 1914 l’Association indienne social-démocrate.En Iran, le socialisme ne put véritablement s’implanter: il a existé un Parti social-démocrate iranien (Edjtemayun ’Ammivun) fondé en 1904 parmi les ouvriers iraniens de Bakou. Sous le nom de Parti des Modjahed, il joua un rôle important pendant la révolution de 1907 à Tabriz, mais s’effondra en 1911 sous la vigueur de la répression russe.Dans la nomenclature de la IIre Internationale figure, en 1909, un Parti turc. En réalité, il existait déjà à cette époque une section arménienne à Constantinople et une autre formée par les Juifs de Salonique. Peu après, en 1910, quelques Turcs musulmans adhèrent à leur tour.Au Maghreb (Algérie et Tunisie), au Sénégal et dans les îles françaises d’Amérique, il existe des fédérations socialistes rattachées à la S.F.I.O. française, notamment le Parti socialiste ouvrier algérien, de tendance allemaniste, constitué en 1897, mais les fédérations d’Afrique du Nord ne groupent guère que des Européens et quelques israélites citoyens français.
Encyclopédie Universelle. 2012.